Je découvre Raymond Depardon sur le tard. La célèbre série « Manhattan Out » avait déjà été enregistrée quelque part dans mon cerveau mais je
n’étais jamais allée plus loin. Dans les années 80, le photographe français
avait réalisé une série de clichés en noir et blanc, pris sans cadrage, presque
au hasard, au détour des rues de Manhattan. Ça donne un ensemble d’instantanées
prises à la volée, comme arrachées à un quotidien banal mais sublimées par une
quasi-science du moment qu’il maîtrise –ou possède naturellement. Les visages,
les postures en mouvement, le courant d’air dans une chevelure, le regard
pensif, le bras qui se transforme en ligne de composition… D’infimes détails
qui rendent ces photographies « que tout le monde auraient pu prendre »
incroyablement riches en émotion.
Né en 1942 à Villefranche-sur-Saône, Depardon a démarré par
du photojournalisme dans le Sahara notamment, pour une mission lambda commandée
par une agence. Dès le début, je remarque que sa science de l’instant le
propulse sur des évènements imprévus. La mission initiale, qui n’autorisait que
peu de naturel, est finalement le cadre d’un fait divers (quelques jeunes
partis chasser la gazelle qui disparaissent mystérieusement), il part alors
filmer le commando des recherches. À son retour, son reportage fait la une des
journaux télévisés les plus connus. C’est le début de sa carrière.
Aux quatre coins du monde, il couvrira la guerre d’Algérie,
du Vietnam mais sera aussi un véritable paparazzi. Il réalise également de
nombreux documentaires comme « L’approche », « Le
quotidien » et « La vie moderne » qui constituent la série
« Profils paysans » et dans lesquels il filme la vie de tous les
jours d’une poignée de paysans de sa région natale. J’ai regardé
« L’approche » après avoir vu l’expo du Grand Palais. Déjà, je ne me
suis pas endormie, c’est assez rare pour le souligner. Ensuite, j’ai été
extrêmement touchée ; chaque plan est une œuvre d’art, et pourtant, rien
ne s’y prête. Un bout de rideau vieillot sublime un cadre, la répétition du rituel
« café du matin » filmée sur tous les habitants d’une maison sonne
comme un ballet philosophique, le tremblement d’une main est un rythme, le
clair-obscur d’une pièce est un tableau de maître… L’approche est sensible,
prudente, incertaine, les paysans ont mis énormément de temps à accorder la
confiance au photographe, cela se ressent, on sent qu’à n’importe quel moment,
ils peuvent s’en aller, trop gênés et nous, spectateurs, sommes tenus en
haleine par cette corde sensible, ce facteur imprévisible. Impudiques et
voyeurs, nous nous imprégnons rapidement du nerf des familles ou des gens seuls
mis en scène. En plus d’une claque sociale, c’est un roman humain, on découvre
des personnalités, bien que peu cultivées, ultra intelligentes. Une leçon de
vie et le résultat d’un œil chanceux. Oui, chanceux. La chance, ça se provoque,
alors tout l’art de Depardon est sûrement de la provoquer. Oui l’art, oui le
cadrage, oui la science MAIS, Raymond a aussi beaucoup de chance. Car ce n’est
pas lui qui demande au chien de passer à la minute 42 en travers du plan, juste
après le départ symbolique du couple de paysans en camion, ce n’est pas lui qui
demande au soleil de venir se baigner dans le creux du visage de cet homme qui
nous raconte ses peines et ce n’est pas lui non plus qui fait mourir un des
personnages principaux en plein milieu du docu (enfin j’espère !). Bref,
le don de l’instant plutôt que la science de l’instant. Je l’admire pour ça.
En ce qui concerne l’expo du Grand Palais, elle n’est pas transcendante.
Insuffisante à mon goût (même avis pour mes deux accompagnateurs), je n’ai pas compris
la logique du chemin, pas de véritable retraçage chronologique. Regroupées par
pays de temps en temps, mais par format le plus souvent. Pourquoi pas. Depardon
a fait tellement de choses différentes qu’il est effectivement difficile de
tout regrouper et d’ordonner son travail. Mais là, c’était trop de tout. J’aurais
préféré moins de diversité et plus de profondeur.
On découvre tout de même des clichés peu connus. Ci-dessous
ceux qui m’ont poussé à sortir mon appareil photo Pomme.
Liban |
Liban |
Étretat |
Glasgow |
Honolulu (je suis rentrée dans la photo) |
Il paraîtrait que le ticket du Grand Palais donne accès à l’autre
rétrospective à la Cinémathèque (ah, je voulais mettre un lien mais c'est terminé, super !). En attendant, je vous conseille vraiment
la série de documentaires sur les paysans. Allez voir par là.
Sinon, saviez-vous que c’est Raymond Depardon qui a réalisé
le portrait officiel de François Hollande ? Maintenant oui !
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